12/10/2023

Mes copains les microbes

Microbiologiste et éco-toxicologue de formation, elle était promise à faire carrière dans l’industrie chimique. La voie qu’a choisie Claire Groleau est toute différente : réhabiliter les micro-organismes dans l’environnement de nos enfants ! Sous le joli nom de LABEL VIE, l’association qu’elle a créée propose des solutions aux acteurs de la petite enfance (crèches, assistantes maternelles, PMI, centres de loisirs) pour concilier hygiène et transition écologique, au bénéfice de tous.

 

Thao Sophat téte le pis d'une vache dans le village de Pheas au Cambodge le 11 septembre 2011 — REUTERS/Samrang Pring - 20 minutes.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée vers l’écologie dans l’accueil de la petite enfance ?

La vie. Lorsque j’ai eu mon enfant et que j’ai commencé à visiter des crèches, j’ai vraiment été stupéfaite de voir qu'on éloignait les jeunes enfants de la nature et qu'ils n'avaient pas le droit de toucher la terre, les cailloux, que toutes les plantes étaient à peu près toxiques à part la laitue. Alors que pour moi, qui ai passé plusieurs années à étudier les effets des biocides sur la nature, le danger c’était plutôt les produits chimiques. À l’inverse de notre société qui est une affolée de la nature et une rassurée des substances chimiques !

D’où vient cet « affolement » selon vous ? » et en quoi est-il néfaste ?

Pour ce qui est de la petite enfance précisément, il faut savoir qu’une crèche accueille des enfants dont les parents ne sont pas en mesure de s'occuper dans la journée. Au départ, On les isolait des parents, il y avait une sorte de sas de désinfection, la crèche c’était un combat pour maintenir l’enfant dans l’hygiène au sens du XXeme siècle.  Mais on parle d'une époque où oui, il y avait des grandes mortalités infantiles et où probablement toutes les maisons n'avaient pas de toilettes. Cette idée de désinfection est restée ancrée dans le monde de la petite enfance. Et puis les acteurs du secteur n’ont pas envie d’être responsables de la mort d’un enfant. Ils se protègent et pensent les protéger avec des produis dont on ne cesse de nous vendre l’efficacité. Il y a un lobby fort sur les produits désinfectants, les industriels continuent de faire peur aux professionnels et aux décideurs pour montrer que ces produits sont indispensables au bon fonctionnement d'un établissement d'accueil du jeune enfant.

Donc aujourd’hui on assiste à un double phénomène. Puisque les microbes sont considérés comme nos ennemis, on utilise beaucoup de produits et les biocides sont partout : dans les produits nettoyants, dans les peintures des jouets (que nos enfants lèchent puisque c’est leur métier) ou encore dans la nourriture. Ils vont au contact direct des enfants ou plus généralement dans leurs dents et dans leurs yeux. Ils irritent leurs voies respiratoires et leur microbiome cutané, ils impactent leur flore intestinale… bref ils harcèlent l'organisme, qui dépense déjà beaucoup d'énergie à grandir, à maturer son métabolisme et son système immunitaire. Il faut se rappeler qu’en proportion à son poids, un enfant ingère plus d'air, plus d'eau, et plus d'aliments qu'un adulte. Et comme en parallèle on les éloigne de la biodiversité microbienne, on les prive d’une richesse dont ils auraient pourtant doublement besoin. 

Je vais vous donner un petit exemple : l'habitude dans beaucoup d'établissements est de désinfecter la surface des plans de change entre chaque change. Donc ça fait 4 sprays sur une surface multiplié par 50 enfants multiplié par 4 changes par jours. Donc on diffuse 800 fois un produit toxique dans l'air de la crèche tous les jours. Quand on sait qu'il y a une augmentation du taux de bronchiolite et que c’est la maladie qui a saturé les hôpitaux et cliniques cet hiver, alors on a vraiment une question à se poser sur l’environnement et l’air qu’on propose aux enfants au quotidien.

 

Extrait du rapport d'activité 2021 - Label Vie

 

Comment faire pour construire des nouveaux écosystèmes pour nos enfants ?

Honnêtement, je pourrais très bien éditer un énième livre « clé en main » sur les solutions écologiques à développer en crèche mais je préfère me battre pour la diversité des approches, pour que les acteurs de la petite enfance puissent être autonomes et adapter les réponses à leurs ressources et contexte. Avec l’association LABEL VIE, nous travaillons sur une définition contemporaine de l’hygiène : il ne s’agit pas d’obtenir le « zéro-microbe » mais d’assurer les conditions de vie pour maintenir une bonne santé aux enfants. Dans ce cadre-là, assurer le lien avec la biodiversité et protéger les enfants contre les effets néfastes des produits toxiques est très important. Nous demandons d’abord « de quoi avez-vous peur ? ». Il s’agit souvent de maladies comme la varicelle, la gastro. Nous montrons ensuite comment certains produits naturels comme le vinaigre, les détergents, les microfibres ou encore le savon de Marseille combattent efficacement les pathogènes. Et on montre enfin qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une action désinfectante mais que nettoyer est suffisant.  On nettoie pour supprimer les pathogènes régulièrement mais on laisse le réensemencement naturel des surfaces par les bactéries se faire. Ainsi, quand un pathogène vient se poser, il n’a pas tapis rouge  pour se développer comme il le souhaite. L’important c’est que l’enfant soit au contact de la biodiversité, animale comme microbienne, que les échanges puissent se faire et qu’il ne soit pas coupé du monde.

Et au niveau national, quelles mesures pourraient être prises pour changer les choses ?

Déjà, il faut savoir qu’il n'y a pas de directive étatique sur la désinfection en crèches. On parle plutôt d’une trouille française et localement, d’une influence des industriels et des médecins départementaux, de PMI qui demandent aux crèches d’utiliser tel ou tel désinfectant. C’est un voile à lever auprès des établissements : il n’y a pas de contrainte juridique, vous pouvez choisir votre manière d’assurer l’hygiène au sein de votre établissement.

On travaille aussi avec la Direction générale de la cohésion sociale qui est le service du ministère de la Famille, qui définit les règles de fonctionnement des établissements et on les sensibilise à ces questions. Pendant la crise Covid et le premier confinement, les premiers protocoles qui ont été envoyés par la DGCS imposaient l'utilisation d'un antiviral très fréquemment après l'usage de chaque surface. Donc on a tout de suite réagi en leur indiquant les risques de ces produits et en leur fournissant toutes les publications qui montraient que la combinaison vapeur et savon, en plus de l’aération, est efficace contre le Sars Cov 2. Après coup, les recommandations officielles nous ont donné raison. J'ai fait une intervention au syndicat des médecins de PMI pour présenter les résultats de l'étude qu'on avait faite sur les produits d'entretien écologiques.  Enfin peut-être qu’il faudrait une grande campagne de sensibilisation, un peu comme « Les antibiotiques, c’est pas automatique », on pourrait dire « Les désinfectants, c'est pas tout le temps ». On a besoin de réhabiliter le micro-organisme dans notre société. Donc merci de produire ce film-là « Vive les microbes ! ».

 

Bien-sûr, cette question avancerait aussi beaucoup plus vite si nous n’étions pas dans une crise incommensurable du service public et de l’hôpital. Les professionnels souffrent du fait qu'ils n'aient pas été valorisé pendant très longtemps et qu'ils ne soient pas beaucoup payés. Il y a pas mal de personnes de ce milieu-là qui ont quitté ces métiers pour aller faire autre chose parce qu'ils étaient en souffrance. Donc il y a un manque et une pénurie de professionnels, ce qui vient peser encore plus sur ceux qui restent avec des manques, des postes qui ne sont pas pourvus, des crèches qui doivent fermer des sections. Et donc la priorité, là, pour l'instant, pour les gestionnaires, c'est de faire en sorte que les établissements fonctionnent. L’écologie passe souvent à la trappe !

 

Extrait du rapport d'activité 2021 - Label Vie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

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Microbiologiste et éco-toxicologue de formation, elle était promise à faire carrière dans l’industrie chimique. La voie qu’a choisie Claire Groleau est toute différente : réhabiliter les micro-organismes dans l’environnement de nos enfants ! Sous le joli nom de LABEL VIE, l’association qu’elle a créée propose des solutions aux acteurs de la petite enfance (crèches, assistantes maternelles, PMI, centres de loisirs) pour concilier hygiène et transition écologique, au bénéfice de tous.

 

Thao Sophat téte le pis d'une vache dans le village de Pheas au Cambodge le 11 septembre 2011 — REUTERS/Samrang Pring - 20 minutes.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée vers l’écologie dans l’accueil de la petite enfance ?

La vie. Lorsque j’ai eu mon enfant et que j’ai commencé à visiter des crèches, j’ai vraiment été stupéfaite de voir qu'on éloignait les jeunes enfants de la nature et qu'ils n'avaient pas le droit de toucher la terre, les cailloux, que toutes les plantes étaient à peu près toxiques à part la laitue. Alors que pour moi, qui ai passé plusieurs années à étudier les effets des biocides sur la nature, le danger c’était plutôt les produits chimiques. À l’inverse de notre société qui est une affolée de la nature et une rassurée des substances chimiques !

D’où vient cet « affolement » selon vous ? » et en quoi est-il néfaste ?

Pour ce qui est de la petite enfance précisément, il faut savoir qu’une crèche accueille des enfants dont les parents ne sont pas en mesure de s'occuper dans la journée. Au départ, On les isolait des parents, il y avait une sorte de sas de désinfection, la crèche c’était un combat pour maintenir l’enfant dans l’hygiène au sens du XXeme siècle.  Mais on parle d'une époque où oui, il y avait des grandes mortalités infantiles et où probablement toutes les maisons n'avaient pas de toilettes. Cette idée de désinfection est restée ancrée dans le monde de la petite enfance. Et puis les acteurs du secteur n’ont pas envie d’être responsables de la mort d’un enfant. Ils se protègent et pensent les protéger avec des produis dont on ne cesse de nous vendre l’efficacité. Il y a un lobby fort sur les produits désinfectants, les industriels continuent de faire peur aux professionnels et aux décideurs pour montrer que ces produits sont indispensables au bon fonctionnement d'un établissement d'accueil du jeune enfant.

Donc aujourd’hui on assiste à un double phénomène. Puisque les microbes sont considérés comme nos ennemis, on utilise beaucoup de produits et les biocides sont partout : dans les produits nettoyants, dans les peintures des jouets (que nos enfants lèchent puisque c’est leur métier) ou encore dans la nourriture. Ils vont au contact direct des enfants ou plus généralement dans leurs dents et dans leurs yeux. Ils irritent leurs voies respiratoires et leur microbiome cutané, ils impactent leur flore intestinale… bref ils harcèlent l'organisme, qui dépense déjà beaucoup d'énergie à grandir, à maturer son métabolisme et son système immunitaire. Il faut se rappeler qu’en proportion à son poids, un enfant ingère plus d'air, plus d'eau, et plus d'aliments qu'un adulte. Et comme en parallèle on les éloigne de la biodiversité microbienne, on les prive d’une richesse dont ils auraient pourtant doublement besoin. 

Je vais vous donner un petit exemple : l'habitude dans beaucoup d'établissements est de désinfecter la surface des plans de change entre chaque change. Donc ça fait 4 sprays sur une surface multiplié par 50 enfants multiplié par 4 changes par jours. Donc on diffuse 800 fois un produit toxique dans l'air de la crèche tous les jours. Quand on sait qu'il y a une augmentation du taux de bronchiolite et que c’est la maladie qui a saturé les hôpitaux et cliniques cet hiver, alors on a vraiment une question à se poser sur l’environnement et l’air qu’on propose aux enfants au quotidien.

 

Extrait du rapport d'activité 2021 - Label Vie

 

Comment faire pour construire des nouveaux écosystèmes pour nos enfants ?

Honnêtement, je pourrais très bien éditer un énième livre « clé en main » sur les solutions écologiques à développer en crèche mais je préfère me battre pour la diversité des approches, pour que les acteurs de la petite enfance puissent être autonomes et adapter les réponses à leurs ressources et contexte. Avec l’association LABEL VIE, nous travaillons sur une définition contemporaine de l’hygiène : il ne s’agit pas d’obtenir le « zéro-microbe » mais d’assurer les conditions de vie pour maintenir une bonne santé aux enfants. Dans ce cadre-là, assurer le lien avec la biodiversité et protéger les enfants contre les effets néfastes des produits toxiques est très important. Nous demandons d’abord « de quoi avez-vous peur ? ». Il s’agit souvent de maladies comme la varicelle, la gastro. Nous montrons ensuite comment certains produits naturels comme le vinaigre, les détergents, les microfibres ou encore le savon de Marseille combattent efficacement les pathogènes. Et on montre enfin qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une action désinfectante mais que nettoyer est suffisant.  On nettoie pour supprimer les pathogènes régulièrement mais on laisse le réensemencement naturel des surfaces par les bactéries se faire. Ainsi, quand un pathogène vient se poser, il n’a pas tapis rouge  pour se développer comme il le souhaite. L’important c’est que l’enfant soit au contact de la biodiversité, animale comme microbienne, que les échanges puissent se faire et qu’il ne soit pas coupé du monde.

Et au niveau national, quelles mesures pourraient être prises pour changer les choses ?

Déjà, il faut savoir qu’il n'y a pas de directive étatique sur la désinfection en crèches. On parle plutôt d’une trouille française et localement, d’une influence des industriels et des médecins départementaux, de PMI qui demandent aux crèches d’utiliser tel ou tel désinfectant. C’est un voile à lever auprès des établissements : il n’y a pas de contrainte juridique, vous pouvez choisir votre manière d’assurer l’hygiène au sein de votre établissement.

On travaille aussi avec la Direction générale de la cohésion sociale qui est le service du ministère de la Famille, qui définit les règles de fonctionnement des établissements et on les sensibilise à ces questions. Pendant la crise Covid et le premier confinement, les premiers protocoles qui ont été envoyés par la DGCS imposaient l'utilisation d'un antiviral très fréquemment après l'usage de chaque surface. Donc on a tout de suite réagi en leur indiquant les risques de ces produits et en leur fournissant toutes les publications qui montraient que la combinaison vapeur et savon, en plus de l’aération, est efficace contre le Sars Cov 2. Après coup, les recommandations officielles nous ont donné raison. J'ai fait une intervention au syndicat des médecins de PMI pour présenter les résultats de l'étude qu'on avait faite sur les produits d'entretien écologiques.  Enfin peut-être qu’il faudrait une grande campagne de sensibilisation, un peu comme « Les antibiotiques, c’est pas automatique », on pourrait dire « Les désinfectants, c'est pas tout le temps ». On a besoin de réhabiliter le micro-organisme dans notre société. Donc merci de produire ce film-là « Vive les microbes ! ».

 

Bien-sûr, cette question avancerait aussi beaucoup plus vite si nous n’étions pas dans une crise incommensurable du service public et de l’hôpital. Les professionnels souffrent du fait qu'ils n'aient pas été valorisé pendant très longtemps et qu'ils ne soient pas beaucoup payés. Il y a pas mal de personnes de ce milieu-là qui ont quitté ces métiers pour aller faire autre chose parce qu'ils étaient en souffrance. Donc il y a un manque et une pénurie de professionnels, ce qui vient peser encore plus sur ceux qui restent avec des manques, des postes qui ne sont pas pourvus, des crèches qui doivent fermer des sections. Et donc la priorité, là, pour l'instant, pour les gestionnaires, c'est de faire en sorte que les établissements fonctionnent. L’écologie passe souvent à la trappe !

 

Extrait du rapport d'activité 2021 - Label Vie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

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