26/02/2024

Vive les microbes ! Même des médecins le disent !

 

Entretien avec Marie Guirguis, médecin remplaçante au centre de santé communautaire « La place santé » de Seine-Saint-Denis, et membre de l’Alliance Santé Planétaire, association partenaire du film.

 

M2R Films: « Vive les microbes ! », n’est-ce pas une phrase un peu difficile à dire quand on est soignant.es ?

 

Marie : si on vivait encore au 19ème siècle, peut-être ! Car c’est à cette période que se développent les théories hygiénistes, qui ont d’ailleurs permis à la médecine et à l’espérance de vie de faire un immense bond !

Mais si l’asepsie (c’est-à-dire l’éradication des micro-organismes dans un milieu) est utile dans certains cas : bloc opératoire, lavage de main réguliers etc., on peut dire que notre époque est marquée par une version excessive et radicale de la pensée hygiéniste : on boulotte des antibiotiques régulièrement dès le plus jeune âge, on gronde les enfants dès qu’ils ont un peu de terre sur les mains, on se tartine de gel hydroalcoolique à longueur de journée.

En tant que médecin, je me désole de voir ces pratiques devenir presque de l’ordre de la névrose. Tout ça relèverait-il d’un besoin inconditionnel de détruire la totalité de l’invisible, entretenu par un souhait obsessionnel de contrôle sur notre environnement ?

Et pourtant les soignant•es savent (ou ont su) : les premières découvertes sur la présence de bactéries « gentilles » dans nos intestins remontent au 20ème siècle. Les études du microbiote (représentant la totalité des micro-organismes vivant de manière symbiotique et souhaitable dans notre organisme : champignons, bactéries, virus) connaissent un grand essor depuis les années 2000 grâce aux nouvelles techniques en microbiologie et notamment au séquençage haut-débit. Et c’est grâce à ces avancées qu’on peut enfin affirmer avec certitude, que sans les microbes, nous ne pourrions pas digérer, métaboliser, respirer ou même nous défendre grâce à notre système immunitaire. Nous serions complètement vulnérables aux attaques extérieures, sans défense ! Et même s’ils sont invisibles, ils sont une part considérable de nous-même, puisqu’ils représentent 1kg de notre organisme !

Alors aujourd’hui, je n’ai aucun mal à dire en consultation, lorsqu’un patient me demande des antibiotiques, les dégâts potentiels, à savoir tout le mal que ça ferait à la multitude des bactéries qui peuplent notre peau, nos intestins, nos bronches et qui nous permettent d’éviter de nombreuses maladies, comme le diabète, l’eczéma ou les maladies inflammatoires des intestins. Sans parler d’antibiorésistance, véritable fléau à l’origine d’une morbi-mortalité dont les estimations à l’échelle mondiale font froid dans le dos !

Tout l’enjeu est de retrouver un juste milieu concernant les gestes d’hygiène. Il est tout à fait possible d’avoir un excellent contrôle des micro-organismes de notre environnement sans chercher à les détruire tous.

M2R Films : la biodiversité microbienne, en quoi est-ce important pour la santé ?

 

Marie : est-ce qu’un parent pourrait envisager de priver son enfant de la diversification alimentaire dès ses 4-6 mois ? On le taxerait de maltraitant ! Il en va de même avec notre microbiote, il a besoin d‘apports diversifiés pour remplir toutes ses fonctions. Il faut bien comprendre que les microbes qui vivent avec et en nous se sont adaptés spécifiquement à nous, et au-delà d’être discrets, ils se sont rendus indispensables à notre espèce à travers les processus de co-évolution !

Prenons l’exemple du diabète. Dans cette pathologie, le taux de glucose dans le sang est trop élevé en raison d’un déficit de la sensibilité à l’insuline, une hormone produite par le pancréas. Dans les mécanismes de régulation de l’insuline, on retrouve deux bactéries, l’une facilitant son action, une autre la bloquant. Les chercheurs ont montré qu’un microbiote peu diversifié peut engendrer une surabondance de la bactérie qui produit la substance bloquant l’action de l’insuline. En d’autres termes, le manque de diversité des bactéries de notre microbiote augmenterait le risque de développer un diabète !

Nous commençons à comprendre pourquoi les maladies chroniques comme le diabète explosent !
 

M2R Films : le 13 février, vous publiez une tribune dans le média Reporterre sur les conséquences sanitaires du projet d’autoroute A69. Pourquoi est-ce que la parole des soignant.es devrait être entendue à propos d’aménagement du territoire ?

 

Marie : cette tribune montre les liens entre la destruction de notre environnement à cause de nos activités, et les dommages que cela porte à notre santé. Pour l’A69, la liste des potentiels effets sur la santé est lourde : la pollution de l’air, la sédentarité induite par l’usage de la voiture, les émissions de CO2, la bétonisation des terres agricoles, l’abattage des arbres… toutes ces externalités ont un coût sanitaire et auront un rôle à jouer dans l’augmentation des cancers, des maladies cardio-vasculaires, du diabète, ou encore des allergies.

La santé planétaire est une discipline qui permet de faire le lien entre toutes nos activités : si l’aménagement du territoire nous extrait des environnements naturels et détruit tout sur son passage (oiseaux, insectes, abeilles, chênes... microbes !), alors elle détruit notre santé avec, aussi bien physique que mentale.

En tant que soignante, je ne peux pas me désintéresser de la question de l’aménagement du territoire alors qu’il ne prend plus en compte tout le vivant qui nous entoure.

Je milite pour inventer de nouveaux systèmes de soin. On doit avoir un seul objectif en tête : la diversité. Pour les microbes, mais pas que ! Délivrer un médicament n’est pas l’unique façon de soigner. Pour qu’un individu soit en bonne santé, il faut qu’il ait accès à une bonne alimentation, à un environnement non pollué, avec des espaces verts lui permettant de faire de l’exercice physique, un appartement ou une maison saine, sans moisissure ou cafard, avec des radiateurs qui fonctionnent l’hiver. Un travail qu’il aime, un entourage aimant, sans violence... Être en bonne santé c’est répondre positivement à tous les déterminants de santé, à savoir médicaux mais aussi sociaux, économiques, environnementaux[1].

 

=> Pour obtenir plus d'informations sur les activités de l'association "Alliance Santé Planétaire", consultez le site à https://santeplanetaire.org/

 

 


[1] C’est devant ce constat que le soin ne peut être réalisé qu’à plusieurs, que depuis une vingtaine d’année, des centres de « santé communautaire » ont à coeur de répondre aux multiples demandes des patientes, en leur offrant des professionnels de santé variés (accueillant•es, médiateur•ice•s en santé, assistant•e•s sociales, médecins, infirmièr•es de pratique avancée, et même socio-esthéticienne, musicothérapeute, coach sportif ...)


 

 

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Entretien avec Marie Guirguis, médecin remplaçante au centre de santé communautaire « La place santé » de Seine-Saint-Denis, et membre de l’Alliance Santé Planétaire, association partenaire du film.

 

M2R Films: « Vive les microbes ! », n’est-ce pas une phrase un peu difficile à dire quand on est soignant.es ?

 

Marie : si on vivait encore au 19ème siècle, peut-être ! Car c’est à cette période que se développent les théories hygiénistes, qui ont d’ailleurs permis à la médecine et à l’espérance de vie de faire un immense bond !

Mais si l’asepsie (c’est-à-dire l’éradication des micro-organismes dans un milieu) est utile dans certains cas : bloc opératoire, lavage de main réguliers etc., on peut dire que notre époque est marquée par une version excessive et radicale de la pensée hygiéniste : on boulotte des antibiotiques régulièrement dès le plus jeune âge, on gronde les enfants dès qu’ils ont un peu de terre sur les mains, on se tartine de gel hydroalcoolique à longueur de journée.

En tant que médecin, je me désole de voir ces pratiques devenir presque de l’ordre de la névrose. Tout ça relèverait-il d’un besoin inconditionnel de détruire la totalité de l’invisible, entretenu par un souhait obsessionnel de contrôle sur notre environnement ?

Et pourtant les soignant•es savent (ou ont su) : les premières découvertes sur la présence de bactéries « gentilles » dans nos intestins remontent au 20ème siècle. Les études du microbiote (représentant la totalité des micro-organismes vivant de manière symbiotique et souhaitable dans notre organisme : champignons, bactéries, virus) connaissent un grand essor depuis les années 2000 grâce aux nouvelles techniques en microbiologie et notamment au séquençage haut-débit. Et c’est grâce à ces avancées qu’on peut enfin affirmer avec certitude, que sans les microbes, nous ne pourrions pas digérer, métaboliser, respirer ou même nous défendre grâce à notre système immunitaire. Nous serions complètement vulnérables aux attaques extérieures, sans défense ! Et même s’ils sont invisibles, ils sont une part considérable de nous-même, puisqu’ils représentent 1kg de notre organisme !

Alors aujourd’hui, je n’ai aucun mal à dire en consultation, lorsqu’un patient me demande des antibiotiques, les dégâts potentiels, à savoir tout le mal que ça ferait à la multitude des bactéries qui peuplent notre peau, nos intestins, nos bronches et qui nous permettent d’éviter de nombreuses maladies, comme le diabète, l’eczéma ou les maladies inflammatoires des intestins. Sans parler d’antibiorésistance, véritable fléau à l’origine d’une morbi-mortalité dont les estimations à l’échelle mondiale font froid dans le dos !

Tout l’enjeu est de retrouver un juste milieu concernant les gestes d’hygiène. Il est tout à fait possible d’avoir un excellent contrôle des micro-organismes de notre environnement sans chercher à les détruire tous.

M2R Films : la biodiversité microbienne, en quoi est-ce important pour la santé ?

 

Marie : est-ce qu’un parent pourrait envisager de priver son enfant de la diversification alimentaire dès ses 4-6 mois ? On le taxerait de maltraitant ! Il en va de même avec notre microbiote, il a besoin d‘apports diversifiés pour remplir toutes ses fonctions. Il faut bien comprendre que les microbes qui vivent avec et en nous se sont adaptés spécifiquement à nous, et au-delà d’être discrets, ils se sont rendus indispensables à notre espèce à travers les processus de co-évolution !

Prenons l’exemple du diabète. Dans cette pathologie, le taux de glucose dans le sang est trop élevé en raison d’un déficit de la sensibilité à l’insuline, une hormone produite par le pancréas. Dans les mécanismes de régulation de l’insuline, on retrouve deux bactéries, l’une facilitant son action, une autre la bloquant. Les chercheurs ont montré qu’un microbiote peu diversifié peut engendrer une surabondance de la bactérie qui produit la substance bloquant l’action de l’insuline. En d’autres termes, le manque de diversité des bactéries de notre microbiote augmenterait le risque de développer un diabète !

Nous commençons à comprendre pourquoi les maladies chroniques comme le diabète explosent !
 

M2R Films : le 13 février, vous publiez une tribune dans le média Reporterre sur les conséquences sanitaires du projet d’autoroute A69. Pourquoi est-ce que la parole des soignant.es devrait être entendue à propos d’aménagement du territoire ?

 

Marie : cette tribune montre les liens entre la destruction de notre environnement à cause de nos activités, et les dommages que cela porte à notre santé. Pour l’A69, la liste des potentiels effets sur la santé est lourde : la pollution de l’air, la sédentarité induite par l’usage de la voiture, les émissions de CO2, la bétonisation des terres agricoles, l’abattage des arbres… toutes ces externalités ont un coût sanitaire et auront un rôle à jouer dans l’augmentation des cancers, des maladies cardio-vasculaires, du diabète, ou encore des allergies.

La santé planétaire est une discipline qui permet de faire le lien entre toutes nos activités : si l’aménagement du territoire nous extrait des environnements naturels et détruit tout sur son passage (oiseaux, insectes, abeilles, chênes... microbes !), alors elle détruit notre santé avec, aussi bien physique que mentale.

En tant que soignante, je ne peux pas me désintéresser de la question de l’aménagement du territoire alors qu’il ne prend plus en compte tout le vivant qui nous entoure.

Je milite pour inventer de nouveaux systèmes de soin. On doit avoir un seul objectif en tête : la diversité. Pour les microbes, mais pas que ! Délivrer un médicament n’est pas l’unique façon de soigner. Pour qu’un individu soit en bonne santé, il faut qu’il ait accès à une bonne alimentation, à un environnement non pollué, avec des espaces verts lui permettant de faire de l’exercice physique, un appartement ou une maison saine, sans moisissure ou cafard, avec des radiateurs qui fonctionnent l’hiver. Un travail qu’il aime, un entourage aimant, sans violence... Être en bonne santé c’est répondre positivement à tous les déterminants de santé, à savoir médicaux mais aussi sociaux, économiques, environnementaux[1].

 

=> Pour obtenir plus d'informations sur les activités de l'association "Alliance Santé Planétaire", consultez le site à https://santeplanetaire.org/

 

 


[1] C’est devant ce constat que le soin ne peut être réalisé qu’à plusieurs, que depuis une vingtaine d’année, des centres de « santé communautaire » ont à coeur de répondre aux multiples demandes des patientes, en leur offrant des professionnels de santé variés (accueillant•es, médiateur•ice•s en santé, assistant•e•s sociales, médecins, infirmièr•es de pratique avancée, et même socio-esthéticienne, musicothérapeute, coach sportif ...)


 

 

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